vendredi 27 juin 2014

"Ensemble vers la Vie" : cheminement

Plénière "Mission", AG COE 2013 à Busan (c) AS Guerrier
Qu'est-ce que la mission ? Suivant les personnes, les institutions, les perspectives, le mot "mission" désigne des réalités très différentes. Certains ont même choisi de le faire disparaitre au profit de mots plus passe-partout comme "inter-culturel", "développement" ou "culture religieuse". Il en est d'autres pour qui ce mot est central, essentiel, parce qu'il est le prisme à travers lequel ils pensent leur rapport au monde et leur engagement. Pour ceux-là, la mission est d'abord Missio Dei, mission de Dieu dans ce monde, et leur propre engagement dans la mission n'est que la goutte d'eau qui, unie à d'autres, forme le fleuve du dessein de Dieu dans ce monde. Pour eux, "penser global et agir local" signifie : penser le monde du point de vue de Dieu et agir en tant que chrétien à mon échelle.

Le texte "Ensemble vers la vie : mission et évangélisation dans des contextes en évolution" de la commission pour la mission et l'évangélisation du Conseil Œcuménique des Églises (COE) a été validé par le comité central du COE et étudié durant l'assemblée de Busan. Pour moi, ce texte est d'une totale et bienvenue étrangeté...

L'approche holistique : ça part dans tous les sens ?
Le premier dépaysement, pour mon esprit formé à la classification et aux définitions précises et cadrées, c'est son approche "holistique". Ma première impression de lecture a été celle d'un texte fourre-tout, mêlant dans un seul élan évangélisation et protection de l'environnement, eschatologie et socioéconomique, vie et rapport à l'argent, humilité et guérison, etc. dans un texte trop dense pour se soucier des articulations. Cette première impression a été grandement infirmée par une étude plus poussée du texte, même si l'impression de densité reste (les auteurs ont été obligés de raccourcir leur texte pour ne pas donner trop à lire aux délégués, mais n'ont pas voulu sacrifier une partie du contenu).

Voici le cheminement que j’ai retenu à la lecture de ce texte :
1. Aujourd'hui, on ne peut plus penser la mission de façon simpliste, les modèles missionnaires ont évolué pour prendre en compte la complexité du réel. De nouveaux défis s'ouvrent. La mondialisation et le réchauffement climatique en font partie. Si la mission est d'abord Missio Dei, mission de Dieu (la théologie classique parlait d'économie de Dieu, c'est à dire à la fois l'action de Dieu dans le monde et sa volonté de salut pour celui-ci), alors elle doit être comprise au sens large, dans toutes ses implications concrètes, matérielles, relationnelles et spirituelles.

Plénière mission, AG COE à Busan (c) AS Guerrier
2. Dieu agit dans le monde par l'Esprit Saint. Il nous faut articuler l’action du Saint-Esprit dans le monde et dans la rédemption, ne pas évacuer la dimension mystérieuse de son action dans le monde et ne pas penser que seuls les êtres humains ont vocation à être sauvés. Le critère pour discerner l’action de l’Esprit saint, et donc pour s’associer à la mission de Dieu est « l’affirmation de la vie dans sa plénitude et dans toutes ses dimensions ». Il ne faut jamais oublier que l’Esprit de Dieu est souvent subversif et qu’il nous appelle à être renouvelés ; nous mettre à son écoute suppose donc une spiritualité transformatrice.

3. Dieu est libérateur, notre participation à la mission doit donc prendre en compte la complexité des dynamiques de pouvoir, pour travailler en vue d’un monde où la plénitude de vie sera offerte à tous. Pour cela, nous sommes invités à ne plus penser la mission depuis les centres de pouvoir et détenteurs de moyens vers des bénéficiaires, mais à travailler au « renforcement des capacités » [empowerment] de ceux qui vivent à la marge (de la société, de l’Église, de la communauté) car ces personnes ont des dons et un potentiel sous-utilisés, ce qui est injuste. Il s’agit de passer d’une logique pyramidale à une logique de « table-ronde », une forme de réciprocité où chacun soit valorisé avec ses capacités, à tous les niveaux. Le texte appelle cela « la mission depuis la périphérie » (Mission from the margins en anglais). Soyons réalistes, ce changement interpelle y compris nos propres bureaucraties et logiques ecclésiales !

4. La communauté joue un rôle essentiel dans la mission : elle est le lieu où se vit de façon concrète l’unité, aussi elle doit être accueillante et respectueuse pour tous ; elle est un lieu de guérison, un lieu où la dignité de chacun sera affirmée, où retrouver son intégrité grâce aux relations avec Dieu, avec les autres et avec la création. De même que Dieu a choisi la kénose et l’incarnation, de même, toute mission doit être au service des personnes, et les actions missionnaires être respectueuses des cultures et des convictions. Cela est particulièrement vrai entre Eglises chrétiennes, car le respect des autres Eglises est une forme de témoignage commun. La dimension communautaire ne se vit donc pas seulement au niveau local, mais plus largement et plus œcuméniquement. La communauté est aussi un lieu de formation, un lieu où être renouvelés par l’Esprit de la mission, un lieu pour explorer de nouvelles formes de mission contextuelle (comme c’est le cas de « l’Eglise émergente », ces nouvelles formes d’Eglise qui fleurissent par exemple en Angleterre).

idem (c) AS Guerrier
5. l’évangélisation est l’affaire de toute l’Église, pas seulement de spécialistes. Elle repose sur le témoignage, la confiance, l’humilité et la formation. Il s’agit d’incarner l’Évangile, « d’articuler explicitement et délibérément l'Évangile », de rendre compte de l’espérance qui est en nous. Elle exclue le prosélytisme. L’évangélisation est ancrée dans la vie de l’Église dans ses différentes dimensions : cultuelle, témoignage, service et communion (leiturgia, marturia, diakonia, koinonia). Elle se joue autant par la présence que par les paroles ou les actes. Elle implique une logique de dépouillement, de renoncement à soi-même, une vulnérabilité. Et elle valorise l’autre, le reconnait comme un partenaire (et pas un « objet » de mission), intègre la liberté religieuse, la pluralité, le respect de la culture de la personne.

idem (c) AS Guerrier
6. Conclusion : La mission appelle à « la fête de la vie », comme dans les paraboles du Royaume de Dieu. La spiritualité est le « carburant » de la mission, l’Esprit appelle et permet la transformation vers plus de plénitude de vie. Toute la création est concernée par la volonté de Dieu et son « plan de salut ». Évangile est bonne nouvelle, ce qui suppose qu’il soit annoncé avec amour et humilité. Le dialogue et la coopération pour la vie font partie intégrante de la mission et de l’évangélisation. C’est Dieu qui anime l’Église dans la mission, qui lui permet d’être missionnaire.

Ce post est déjà bien assez long, Je vous partagerai mes questions sur ce texte sur le prochain. 

Claire Sixt Gateuille

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