vendredi 27 juin 2014

"Ensemble vers la vie" : quelques réactions

J'ai résumé dans le poste précédent le dernier document sur la mission du COE, ou en tout cas la lecture que j'en fais, voici maintenant quelques commentaires personnels :


(c) Joanna Linden-Montes pour le COE
J'ai déjà dit que je n'étais pas très à l'aise avec l'approche holistique, parce qu'elle donne l'impression que tout est dans tout et réciproquement. Mais je sais aussi que c'est ma culture d'européenne un peu intello sur les bords qui entraine cette réticence. Je sais que l'intérêt de cette approche est d'aller au delà des cloisonnements et des classifications qui enferment, pour envisager la mission de façon globale et non simpliste. Cette approche donne toute sa place à la souveraineté de Dieu, puisque lui seul peut faire la synthèse de ce qu'est la Missio Dei, cette dynamique qui nous précède et nous survivra, dans laquelle nous sommes invités à entrer. Elle affirme aussi que la mission doit être vue comme concernant toutes les dimensions de la vie, puisque l’action de Dieu ne se limite pas à notre spiritualité ou notre quête de sens ou notre pratique religieuse, ou même nos relations…

Je sais aussi que mon contexte de réformée française influence aussi beaucoup ma lecture : une approche holistique de la mission comme Missio Dei affirme l’action de Dieu dans le monde en dehors de la participation humaine. Or les réformés (en tout cas en France) ont usé beaucoup d'énergie à dénoncer une approche magique de Dieu, ils ont fini par répandre le soupçon y compris sur la dimension « mystérieuse » de l’action de Dieu dans le monde, celle que l’on ne peut expliquer rationnellement… et en sont parfois arrivés à limiter Dieu aux manifestations intérieures de l’Esprit Saint. Il me faut aujourd'hui réentendre cette affirmation sans plaquer tout de suite dessus ce réflexe de soupçon...

(c) Joanna Linden-Montes pour le COE
Ce texte a à mon avis une grosse faiblesse : tout le texte s'articule autour de l'idée de "la plénitude de vie", or le concept de "vie" n'est jamais défini... Le texte pose par exemple comme critère de discernement de la mission de Dieu : « Nous discernons l’Esprit de Dieu partout où la vie est affirmée dans sa plénitude et dans toutes ses dimensions ». Le problème de cette formulation, c’est que le concept de « vie » n’est jamais défini. Or nous savons que suivant notre conception de ce qu’est la vie, nous pouvons être, par exemple, totalement en faveur de l’avortement, ou totalement opposé (la première position défend la vie de la mère, une vie relationnelle, affective, psychique, qui serait trop déstabilisée par l’arrivée d’un enfant non désiré, la deuxième défend la vie de l’enfant, vie affirmée dès la première minute de la conception dans une approche plus ontologique). Qu’est-ce donc qu’une « vie affirmée dans sa plénitude et dans toutes ses dimensions » ? Y a-t-il des critères universels ou cette plénitude de vie dépend-elle du contexte ? et si oui, de quel contexte (sociétal, communautaire, personnel ?). On le voit, pour moi ce texte nous interpelle, nous invite à sortir de nos schémas mentaux, mais pour aller vers où ? A mon avis, la discussion ne fait que commencer !

(c) Peter Williams pour le COE
Cela dit, j’ai noté quelques idées qui me parlent vraiment dans ce texte. Certaines sont justes évoquées, de manière fulgurante, d’autres sont développées. Je les cite rapidement :
- l’idée de faire rentrer l’écologie et l’éco-justice dans la mission. Sur le principe, j’y adhère. Cela dit, la justification de cela est que le projet de salut n’est pas seulement pour l’humanité mais pour toute la création. Cela est pour moi très étrange. Je pense que cette idée vient de l’orthodoxie, et je peux la comprendre. Savoir si je peux me l’approprier pour ma propre spiritualité est une autre question… en tout cas, c’est une idée avec laquelle j’ai envie de cheminer
- Dans la suite de ce que je disais plus haut sur la Missio Dei, j’ai beaucoup aimé l’affirmation que la mission n’est pas quelque chose que nous faisons pour d’autres, mais quelque chose auquel « les humains peuvent participer, en communion avec l’ensemble de la création », point 22. Cela nous invite à sortir d’une logique du faire. Nous et nos « programmes missionnaires », nos « financements sur programme », nous avons à entendre cela !
- J’ai apprécié l’idée que « la spiritualité de la mission est toujours transformatrice » (point 30), qui affirme que la spiritualité est essentielle dans la mission, comme temps/lieu de disponibilité à se laisser changer…Et le texte va plus loin en affirmant que « Esprit de Dieu est souvent subversif ».
(c) Joanna Linden-Montes pour le COE
- Un dernier point qui me semble essentiel est celui de la mission depuis la périphérie, en anglais Mission from the margins, qui se couple avec l'idée d'humilité souvent affirmée dans le texte. Nous ne "maîtrisons" pas la mission, parce qu'elle est mission de Dieu. Nous y participons, avec ce que l'Esprit nous donne de discerner, mais nous sommes toujours marqués par notre contexte, notre formation, nos schémas mentaux, etc. Seules l'humilité et l'inspiration du Saint Esprit, l'écoute et l'attention aux autres et à la création, peuvent nous permettre de remettre en cause ce qui nous semble évident en termes de fonctionnement et de structures, mais qui en fait fonctionnent de façon oppressante ou excluante pour les personnes qui sont en marges (de la société, de l'Eglise, de la communauté, etc.).

En bref, un texte très riche, très interpellant, très dense. Un texte avec lequel cheminer, sur lequel discuter, échanger, partager. Un texte qui nous invite à entrer en dialogue avec d'autres, en somme. Et à entrer dans ce flot qui nous dépasse qu'est la mission. Y êtes-vous prêts ? 
Claire Sixt Gateuille

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